Pecker Jean
(1921 – 1989)
Quand Jean Pecker arrive de Paris à Rennes en 1957, la neurochirurgie y existait depuis 1948 sous l’impulsion de Daniel Ferrey qui avait ouvert à Rennes la troisième chaire de Clinique Neurochirurgicale Française. Mais son développement était limité par l’absence de véritable présence neurologique à l’hôpital. Avant qu’Olivier Sabouraud n’arrive à son tour, le service de Jean Pecker accueillait des patients médicaux et chirurgicaux. Il n’est pas sûr que les jeunes générations se rendent bien compte de ce qu’a été la vie de ces pionniers. Leur capacité de travail et leur disponibilité sont proprement inconcevables aujourd’hui. A titre d’exemple, Jean Pecker débutait sa journée de travail à 6h30 en rendant visite aux malades des deux cliniques où, comme Albert Javalet, il opérait l’après-midi. Il arrivait à Pontchaillou vers 8h15. Les internes n’étant pas tous lève-tôt, il voyait lui-même les entrants avant de monter au bloc opératoire où les internes avaient le plus grand intérêt à arriver avant lui ! L’après-midi, les apprentis étaient maîtres à bord mais ils savaient pouvoir compter sur leurs aînés. Nuit et jour, il était possible de les déranger sans jamais encourir de reproche. Et pourtant les gardes n’étaient ni rémunérées ni récupérées et le repos de sécurité n’existait pas plus que la RTT ! Les conditions de travail étaient plus que précaires : une salle d’opérations unique ouvrant sur le couloir, sans dépendances dignes de ce nom. Leur matériel, notamment le respirateur « Heidbrinck » venu des surplus américains, imposait le respect au point que leur chef les invitait à en prendre le plus grand soin « car il a fait la bataille de Guadalcanal » ! On aura oublié que toute cette activité se passait « à tâtons », c’est-à-dire sans l’imagerie dont nous disposons aujourd’hui. Avant le scanner et l’IRM, donc avant les neuroradiologues, les chirurgiens devaient acquérir eux-mêmes les informations morphologiques indirectes que donnaient chichement l’angiographie, l’encéphalographie ou la myélographie. Les plus anciens sont encore détenteurs de cette langue des signes, aujourd’hui morte, qu’était la sémiologie radiologique de ces examens devenus obsolètes. Cet engagement 24/24H des aînés et le dévouement des plus jeunes allaient être récompensés. En quelques années, le rayonnement du service pouvait s’apprécier à son aire de recrutement. Les malades et blessés y arrivaient de plusieurs centaines de kilomètres. Les hôpitaux de Quimper, Cherbourg, Saumur et La Roche-sur-Yon étaient les correspondants habituels du « Centre neurochirurgical de l’Ouest » comme les journaux l’appelaient pompeusement avant l’émergence ou le développement de services voisins (Nantes, Brest, Tours, Poitiers, Angers). Dès lors, il n’était guère surprenant que la Société de Neurochirurgie de langue française reconnaisse ce chemin parcouru en tenant à Rennes son Congrès de 1967. C’est vers la stéréotaxie que Jean Pecker va conduire l’activité de recherche du service. L’un des premiers, il avait mis en pratique en matière de Parkinson les travaux de Gérard Guiot et de Jean Talairach. La neurochirurgie moderne (microchirurgie, imagerie, navigation, stéréotaxie) a pu s’introduire au CHU de Rennes au prix de modifications relativement modestes. Admiré ou jalousé mais reconnu, un tel patron ne laissait pas ses collègues hospitaliers indifférents. Ils le portent à la présidence de la CME deux fois de suite. Impliqué fortement dans la vie de l’université de Rennes I comme vice président, il va bientôt diriger la sous-section de Neurochirurgie du Conseil national des Universités. Il va aussi conseiller Simone Veil, ministre de la Santé. Sur le tard de sa carrière, il connaît des soucis de santé qu’il affronte avec l’humour qui rend le courage discret. Avec la disparition de Jean Pecker, en 1989, l’histoire s’arrête ou plutôt fait place au présent. Un présent qui se poursuit à Rennes, mais aussi à Angers, Tours, Caen, Beyrouth, Pau, Limoges, Poitiers, Alger, San José de Costa Rica et dans bien d’autres lieux où se trouvent ses élèves. Comment n’être pas admiratif du chemin parcouru par le service de neurochirurgie sous l’autorité du Professeur Jean Pecker ?
Source : Professeur Gilles Edan Président de l’Institut des Neurosciences Cliniques de Rennes