Un legs providentiel pour bâtir la maternité de l’Hôtel-Dieu
Un legs providentiel pour bâtir la maternité de l’Hôtel-Dieu
Par Bernard Boudic
Cette plaque en laiton (28.5 cm x 13.2 cm) qui était placée sous le seuil de l’entrée de la maternité de l’Hôtel-Dieu rappelle de façon laconique les circonstances extraordinaires de l’érection du bâtiment entre 1895 et 1898. A la fin du 19e siècle, la commission administrative des hospices de Rennes subissait les demandes répétées des autorités d’ouvrir une maternité digne de ce nom. C’était notamment la condition pour que l’État créée une École de plein exercice de médecine et de pharmacie. Mais les moyens financiers manquaient pour remplacer la maternité construite en 1867 au-dessus de l’amphithéâtre de dissection, et c’est la donation providentielle d’un Rennais, Honoré Pinier dit Coulabin, qui apporta d’un coup les 70 000 francs nécessaires « sous la condition que la somme donnée soit spécialement affectée à l’édification d’un bâtiment entièrement consacré au service de la maternité sur les terrains libres de l’Hôtel-Dieu ».
Les plans signés par Julien Ballé, architecte des Hospices civils de 1894 à 1919, étaient probablement déjà prêts. La première pierre du bâtiment situé le long de la rue Saint-Malo fut posée le 19 décembre 1895. Le premier versement (20 000 F) est daté du 7 février 1896. Les travaux furent rapidement menés et la maternité ouvrit fin février 1898 dans ce bâtiment de deux niveaux comportant un corps central avec des combles et deux ailes en retrait. Signe de l’époque, il se divisait en deux parties symétriques l’une pour les femmes mariées, l’autres pour les filles-mères. Au rez-de-chaussée, se trouvait une salle de travail, à l’étage les femmes en attente d’accouchement. Modifiée, bien sûr, au fil des années, la maternité vit naître des générations de Rennais., jusqu’à son transfert fin mars 2009 à l’hôpital sud.
Le bâtiment construit, dit la plaque commémorative, « grâce à la générosité de M. Judin et de M. et Mme Coulabin » est nommé « Pavillon Judin-Coulabin ». Mais, en fait, le seul donateur est Honoré Pinier dit Coulabin qui a voulu associer à son geste son épouse, décédée le 2 novembre 1893, et un ami très proche, Adolphe Judin, décédé le 6 octobre 1854, dont il fut le légataire universel. « Ils ont permis au donateur de consacrer une somme plus importante au soulagement des malheureux. Il est juste de les associer aux bienfaits que la présente donation a pour but de réaliser », écrit Honoré Pinier dit Coulabin, en évoquant « une inscription intérieure ou extérieure figurant sur le bâtiment à édifier ».
Bienfaiteur providentiel des Hospices de Rennes, Honoré Pinier dit Coulabin, est né le 2 juillet 1810 à Rennes, rue du Pont de Toussaint. Il est le fils naturel d’Anne Pinier, née à Pacé le 19 juillet 1781. Après le mariage de sa mère en 1827 avec François Coulabin, un veuf de 64 ans, originaire de Fougères, qui décède un an plus tard, il adopte, sans doute en signe de reconnaissance, le nom d’usage Pinier dit Coulabin qui le suivra toute sa vie dans toutes ses activités.
Il se marie à 45 ans, jour pour jour, le 2 juillet 1855, avec Hélène Courtois, née le 11 mars 1811, fille d’un chapelier rennais. Il est alors greffier près le conseil de guerre de la 16e division militaire. Il demeure à Rennes, 2, rue d’Orléans. Les témoins du mariage, un rentier, un marchand de nouveautés, un juge au tribunal civil et un avocat, consacrent cette union bourgeoise et aisée du commerce et de la magistrature.
Hélène Courtois habite avec sa mère, Marie-Charlotte Hirou, 3, rue d’Estrées, un appartement dont elle est propriétaire. Elle possède en outre, à la même adresse, un magasin et des dépendances. Ses biens sont estimés au total à 49 600 F, dont hérite Honoré Pinier dit Coulabin. De son côté, celui-ci possède, outre son appartement au premier étage du 2 rue d’Orléans, en partie mis en location, un second appartement 6, rue d’Estrées, deux magasins et leurs dépendances 3, rue Bourbon (aujourd’hui, rue Edith-Cawell), et des valeurs pour 24 263 F.
Il tire une partie de ses biens du legs que lui a fait un ami très proche, Adolphe Judin, décédé sans héritier en son domicile, rue d’Orléans, le 6 octobre 1854 à l’âge de 47 ans. Dans son testament, ce dernier indique d’ailleurs la destination qu’il espère pour sa fortune : « Dans le cas où mon ami Coulabin ne se marierait pas ou s’il mourrait sans enfant, je le prierais de donner à sa mort ma fortune aux pauvres et de la manière qui serait la plus propre à soulager plus d’infortune ».
Quand il part à la retraite, en 1868, Honoré Pinier dit Coulabin perçoit une pension viagère de 2 700 F par an. Mais il prend la précaution d’assortir son legs d’une condition, « l’obligation pour les hospices – en fait la ville de Rennes – de lui servir pendant sa vie une rente annuelle égale à 3 % de la somme donnée, soit 2 100 F par an ». Le conseil municipal de Rennes n’y verra bien sûr aucun inconvénient, insistant avec reconnaissance sur la générosité du donateur.
Le legs Pinier-Coulabin comprenait aussi 34 pièces en vieille porcelaine de Chine et Japon et un exemplaire des Contes de La Fontaine imprimé à La Haye en 1778, « objets très recherchés qui pourront être offerts, les premiers au musée archéologique (musée des beaux-arts), les Contes à la bibliothèque ».
Honoré Pinier dit Coulabin passa ses dernières années à achever son dictionnaire des Locutions populaires du bon pays de Rennes-en-Bretagne, édité à Rennes par Hyacinthe Caillère en 1891, un ouvrage de 376 pages comportant 1 800 entrées, mots et expressions du 19e siècle. Une rue porte son nom depuis 1914 : la rue Coulabin, percée sur un terrain qui appartint aux hospices, relie la rue des Polieux au mail François Mitterrand.
La plaque commémorative cite aussi les noms des membres de la commission administrative des hospices, M. Vincent-Marie Morcel, président, maire de Rennes de 1892 à 1895, et MM. Hyacinthe Le Chartier, vice-président, Charles Blondel, Eugène Ménard, Guernet, Lahutte, et Stanislas Miller, administrateurs, tous conseillers municipaux. Mention est également faite de M. Julien Ballé, architecte, de MM. Lambert, inspecteur des travaux, Hémon, secrétaire et contrôleur des hospices, Chalons, économe, et Branger, receveur. Au verso, sont mentionnés les noms du docteur Delacour, directeur de l’Ecole de médecine, et des membres du service médical du pavillon Judin-Coulabin, le docteur Perret, chefs de service de la maternité, les docteurs Templé, Blin et Dayot fils, médecins suppléants ainsi que celui du notaire rapporteur de la donation Coulabin, Me Duplessix.