Selon Pline l’ancien, l’idée d’injecter un produit dans le corps serait venue aux hommes en observant les ibis. En effet, en s’alimentant, ces échassiers ingurgitent du sable, ce qui les constipe. Pour y remédier, ils aspirent de l’eau de mer et, avec leur long bec courbe servant de canule, se l’injectent dans le rectum. Nos ancêtres observateurs eurent ainsi l’idée de la «poire à lavement» en fixant des tiges creuses de roseau sur des vessies, qui, comprimées, font gicler leur contenu. Le mot «seringue» vient du grec ancien «syrinx» («syringa» en latin) qui signifie «roseau taillé»…
Le clystère servait à purger, soigner et, accessoirement, pouvait entraîner des états de conscience modifiés selon les substances employées. De fait, de nombreuses médications, extrêmement amères, étaient impossibles à avaler et le bon sens commandait alors d’utiliser la voie rectale. Les fouilles de Pompéi ont ainsi révélé de nombreux clystères en étain (appelés «strigillis») tout à fait fonctionnels. Par la suite, s’il semble disparaître en Occident au haut Moyen Âge, on retrouve le principe du clystère à piston aussi bien à Byzance qu’en terre. d’Islam. En Occident, le clystère ne réapparaît timidement, sous le nom de «ceringue», qu’aux XIIe-XIIIe siècles. Plus qu’aux médecins son usage est d’abord dévolu aux barbiers puis aux marchands d’épices qui deviendront les apothicaires. On l’emploie également pour aspirer le pus, laver les plaies, voire traiter des affections vétérinaires, gynécologiques, etc.
Par décret royal, seule la corporation des apothicaires bénéficie du privilège d’administrer les clystères, ce qui lui assure une prospérité croissante. L’objet devient ainsi le symbole de la profession, figurant sur d’innombrables blasons et enseignes de cette guilde. On rapporte qu’un apothicaire de Lyon aurait eu pour épitaphe:
«Ci-gît qui, pour un quart d’écu
S’agenouillait devant un cul».
Les constipations opiniâtres, voire les occlusions, sont alors fréquentes chez les riches dont les régimes sont essentiellement carnés. Mais de nombreux «patients» ont certainement pris goût à la sensation que procure une tiède et bienfaisante montée (surtout s’il y a des opiacés dans le mélange) qui envahit le fondement et en réclament donc plus que prescrit à partir du XVIe siècle, il est du dernier chic de se «seringuer», au minimum une fois par jour, histoire «d’évacuer les humeurs» et de «libérer le ventre». Louis XIII subira 215 lavements (et 45 saignées) en une année.
Bien que l’église s’indigne et préconise plutôt les saignées, de nombreux prélats semblent prendre goût au lavement. Le peuple voulant toujours imiter ses élites, aux XVIIe et XVIIIe siècles, en Occident, on aura tendance à se «purger» pour n’importe quel prétexte.
Selon le lieu d’injection, un nom différent était donné au clystère. Pour une injection auriculaire, on parlait d’otenchyte, une injection vésicale de typhon ou de cathéter et une injection utérine de metenchytes. (Référence : Du Chesnes J. Pharmacopée des dogmatiques. C. Morel, Paris, 1624, pp 376-388)